la Lyre de berchoux


Ecoutons maintenant la lyre de Berchoux :
" Condé..que ce grand nom ne vous alarme pas,
J'écris pour tous les temps et pour tous les climats,
Condé, ce grand Condé que la France révère,
Recevait de son roi la visite bien chère,
Dans ce lieu fortuné, ce brillant Chantilly
longtemps de race en race à grands frais embelli.
jamais plus de plaisir et de magnificence
N'avaient d'un souverain signalé la présence.
Tout le soin des festins fut remis à Vatel,
Du vainqeur de Rocroy fameux maître d'hôtel 
Il mit à ses travaux une ardeur infinie
Mais avec des talents il manqua de génie,
Accablé d'embarras, Vatel est averti
Que deux tables en vain réclamaient leur rôti ;
Il prend pour en trouver une peine inutile.
" Ah ! dit-il, s'adressant à son ami Gourville ,
de larmes, de sanglots, de douleur suffoqué,
Je suis perdu d'honneur, deux rôtis ont manqué ;
Un seul jour détruira toute ma renommée ;
Mes lauriers sont flétris et la cour alarmée.
Ne peut plus désormais se reposer sur moi ;
J'ai trahi mon devoir, avili mon emploi. "
Le Prince, prévenu de sa douleur extrême,
Accourt le consoler, le rassurer lui-même.
" Je suis content, Vatel, mon ami, calme-toi !
Rien n'était plus brillant que le souper du roi,
Va, tu n'as pas perdu ta gloire et mon estime,
Deux rôtis oubliés ne sont pas un grand crime.
Prince, votre bonté me trouble et me confond 
Puisse mon repentir efface, mon affront ! "
Mais un autre chagrin l'accable et le dévore ;
Le matin, A midi, point de marée encore,
Ses nombreux pourvoyeurs, dans leur marche entravés.
A l'heure du dîner n'étaient point arrivés .
Sa force l'abandonne. et son esprit s'effraie
D'un festin sans turbot, sans barbue et sans raie,
Il attend, s'inquiète, et, maudissant son sort,
Appelle en furieux, la marée ou la mort,
La mort seule répond ; l'infortuné s'y livre,
Déjà percé trois fois, il a cessé de vivre
Ses jours étaient sauvés, ô regrets ! ô douleur !
S'il eut pu supporter un instant son malheur.
A peine est-il parti pour l'infernale rive,
Qu'on sait de toutes part que la marée arrive ;
On le nomme, on le cherche.... on le trouve.... ; grand dieu !
La Parque pour toujours avait fermé ses yeux.
Ainsi finit Vatel, victime déplorable,
Dont parleront longtemps les fastes de la table.
O vous ! qui par état présidez aux repas,
Donnez-lui des regrets, mais ne l'imitez pas !



Voici comment, après le dénouement, Madame de Sévigné poursuit :
" Le grand Vatel, cet homme d'une capacité distinguée de toutes les autres, dont la bonne tête était capable de contenir tous les soins d'un Etat ; cet homme donc, que je connaissais, voyant que ce matin, à huit heures, la marée n'était pas arrivée, n'a pu soutenir l'affront dont il a cru qu'il allait être accablé; en un mot, il s'est poignardé. Vous pouvez penser l'horrible désordre qu'un terrible accident a cause dans cette fête, qui coûta plus de 600.000 écus.
" On le loua fort, on loua et blâma son courage. On dit que c'était à force d'avoir de l'honneur à sa manière. "
  Vatel s'était levé à quatre heures et avait braqué sa longue-vue à la fenêtre attendant et cherchant, anxieux du regard, sur les routes lointaines, mais rien, rien n'arrivait. et pour comble, tout son personnel était endormi à six heures du matin.
Il attendit jusqu'au dernier moment, lorsqu'on apporta un peu de marée.
" Est-ce là tout, dit Vatel, n'avez-vous pas vu d'autres voitures? "
" Non. lui repondit-on " Il y avait là de quoi servir 50 personnes au lieu de 3.000 invités. Vatel disparut et une demi-heure après, la marée arriva: on le trouva dans sa chambre. perforé de trois coups d'épée.
Cette dernière phrase un perfide. N'y a-t-il pas de l'honneur, n'est-ce point remporter une victoire, que du sortir triomphant de la direction de ces fastueux festins, de ces fêtes étourdissantes, ou Il faut satisfaire tant d'appétits divers et capricieux, surtout à l'époque de Vatel ou les moyens de communication manquaient.
Ne faut-il point autant de génie et de volonté que pour conduire une armée disciplinée à la victoire ? Vatel, à qui les obstacles étaient inconnus, s'était très bien senti déshonoré et il a préféré mourir sur la brèche, que de survivre au triomphe de ses ennemis. ll est vrai que ceux qui trouvent que Vatel a eu de " l'honneur à sa façon " sont ceux qui appartiennent à la catégorie des Bazaine et autres panamistes, qui comprennent, eux, l'honneur d'une autre façon.

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