Gros sel essaie que son père et le docteur se rencontrent…. Épisode 59


André soupçonneux:
Comment le sais-tu, c’est toi l’enfant de chœur ?
Pierrot :
« - Papa nous préparons la kermesse, je suis tous les jours à la cure. Nous ne sommes pas sourds, nous avons des yeux pour voir. Quand il nous fait préparer ses burettes et son pain béni, c’est toujours pour eux sur un plateau aux armes du château. Ils sont trois, et marchent la main dans la main. Il y a Madame Contré, le docteur Melchior et Monsieur le curé. Ils n’ont aucun secret entre eux. Ils se disent tout ou presque. Ils ne se méfient pas de nous. Quand il y a un problème d’argent, soit ce sont les Contré qui paient, soit le docteur du château et pour les grosses dépenses ce sont les deux. Si tu en gagnes un, tu gagnes tous. Les trois, c’est la mairie d’assurer pour toi, surtout si tu as le football en plus. Je sais aussi que le maire veut se retirer cette année, il est fatigué, tu l’aurais en plus dans ta poche, mais il va falloir réfléchir et mettre de l’eau dans ton vin et accepter d’avaler quelques couleuvres. L’enjeu n’en vaut-il pas la chandelle papa. »
La pertinence et la justesse des analyses de ses enfants le laissent pantois et sans réponse. Tout ce qu’il trouve à dire c’est:
« - Ce curé sait s’entourer des gens qu’il faut, j’en conviens, mais si je dois me coucher devant tous ceux que j’ai combattu depuis que j’ai ton âge, te rends tu compte de ce que vous me demandez tous les deux ?
Germaine l’apostrophe :
« - S’il te plaît, tous les quatre. Depuis que nous nous connaissons, je te demande d’ouvrir les yeux, tu n’en as fait qu’à tête et aujourd’hui ce sont nos gosses qui te supplient de les écouter. Je ne sais pas si de rencontrer le docteur Melchior c’est une bonne chose, mais si c’est un ami sincère de Monsieur le curé et de Madame Contré je ne vois pas pourquoi, nous ne ferions pas comme eux. C’est plus qu’une référence. »
André sait qu’ils ont raison, mais il ne veut pas déposer les armes sans combattre, au moins chez lui :
André :
« - De toute façon un curé est formé pour connaître et reconnaître ceux qui peuvent la main à la poche. Il sait toujours où sont les bonnes âmes riches. »
Pierrot :
« - Bravo Papa le reconnaître, c’est déjà un grand pas. Il ne te reste plus qu’à lui écrire. »
André :
« - Dicte-moi la lettre pendant que tu y es. Il ne faut rien exagérer. Je dois réfléchir. Demain il fera jour, je verrai ce que je dois faire.
Les heures ont tourné vite et Pierrot en regardant la vielle comtoise de sa Grand-mère se rend compte qu’il est tard pour aller au château. Les autres ont dû en avoir marre de l’attendre et seront rentrés chez eux.
Le docteur Melchior ne voyant personne venir conclut que pour ce soir, les enfants ne passeront pas. Selon le code établi entre eux, c’est le signe que tout va bien et qu’aucune nouvelle tempête ne se profile à l’horizon.
Comme Pierrot s’en doute, Tapioca est rentré chez elle, et révise pour réussir ses deux dernières compositions. Saucisse et Gros Lard ont traîné un peu, mais sont aussi chez eux . Ils lisent des livres sur l’an zéro, que le Curé leur a prêtés.
Pierrot de son côté récite à sa mère ses leçons une dernière fois, il les sait par cœur. Gros Sel, dessinent des objets ayant une étrange ressemblance, avec ceux que tout le monde recherche.
Le lendemain, la nuit portant conseil, le Conservateur veut battre le fer quand il est chaud. Il souhaite reprendre la main pendant qu’il en est encore temps. Il envoie un premier rapport au procureur, auquel il joint des photocopies certifiées des pièces en sa possession. Puis, pour gagner du temps, il l’appelle au téléphone et le presse de le couvrir dans cette course contre la montre. Le procureur est très intéressé par ce dossier, mais en l’absence des pièces et du rapport, décide d’avancer ses pions sans prendre aucun risque.
Devant les insistances inquiètes et réitérées du conservateur, il appelle son homologue au siège de la compétence territoriale dont dépendent les informations verbales qu’il détient. Il lui demande son appui pour gagner du temps en lui précisant que pour l’instant il ne possède encore aucun document écrit.
Le substitut de permanence de la ville de Saintes souhaitant rendre service à son homologue poitevin promet de faire diligence. Il téléphone dans la foulée à la gendarmerie de Loulay. Le chef de brigade vient justement de lire le rapport des gendarmes dont il a épinglé la carte de visite au dossier. Il est surpris de la rapidité de cet appel, pour un sujet lui semblant banal et sans intérêts judiciaires.
Il lit au téléphone le rapport de ses collègues. Il précise que cette famille est connue de leurs services pour sa qualité, son honnêteté, que le père est un défenseur de l’ordre. Il sera certainement le prochain maire de la commune et peut-être un futur conseiller général ou même député. Il conseille donc d'avancer avec beaucoup de prudence sur ce dossier qui lui semble plus être, un abus de pouvoir du conservateur qu’une malhonnêteté de cette famille bien notée et d’un enfant de quatorze ans, qui a restitué des objets prêtés à son propriétaire.
Un premier prêt du même genre a déjà eu lieu, il y a plusieurs semaines et le maître en a profité pour faire une exposition qui a rapporté un peu d’argent à la petite école. Des enfants de gendarmes scolarisés en ont parlé pendant plusieurs jours à la brigade. Il n’y a  à nos yeux et dans les faits, aucune action délictueuse bien au contraire de cette famille. Il laisse par contre au parquet, le soin de qualifier celle du fonctionnaire incriminé.
Les personnes victimes des agissements du Conservateur n’ont pas souhaité porter plainte, comprenant son empressement face à une découverte scientifique de cette importance. Je vous envoie le dossier par le courrier de ce soir avec la carte de visite du personnage au centre de cette affaire.
Le substitut :
Merci et bravo pour la rapidité et la clarté de votre exposé. Je vais classer cette affaire avant d’en être saisie officiellement. Envoyez-moi le dossier, de toute façon si cette personne habite bien les villes inscrites sur cette carte de visite, aucune ne dépend de notre juridiction. Ce dossier, si le Procureur de Poitiers lui donne une suite se traitera par commission rogatoire. Faudrait-il encore qu’il y ait un délit, ce qui est loin d’être le cas. Qu’il se démerde de son dossier. Merci Chef, quand je verrai le colonel, je lui indiquerai à quel point les enquêtes confiées à votre brigade sont parfaites. Je tiens à vous féliciter. Adieu, je compte sur vous pour me faire parvenir ce dossier au plus vite. Le substitut raccroche. Le chef est heureux d’avoir reçu des félicitations en direct. Il en fera part à ces collègues dès ce soir. Merci André, s’il a besoin d’eux un jour, la brigade sera là pour l’aider.
Le retour, illico du substitut de Saintes à son homologue de Poitiers, n’est pas des plus gracieux. Comment lui demande t-il, un auxiliaire de justice a osé se servir de sa fonction, pour déplacer les forces de l’ordre sans aucune autorisation et sans l‘aval du parquet concerné. En plus, il a agi dans un département situé hors de vos limites judiciaires. C’est un délit qui peut lui briser sa carrière. Heureusement que les personnes concernées ont compris les raisons qui ont poussé cet homme à commettre une erreur aussi grossière qu’abusive.
Le procureur de Poitiers voulant calmer le jeu, propose sa médiation et promet de convoquer immédiatement le conservateur et de le sermonner vertement. Il remercie son collègue pour sa compréhension.
Il demande à son greffier de convoquer immédiatement pour le lendemain matin  le Conservateur dès 9 heures. Ce dernier ne s’attend pas à une réprimande et au contraire, il est tout content, pensant pouvoir prendre sa revanche. Il se croit protégé et sûr de son bon droit.
L’après-midi, le parquet de Poitiers reçoit par porteur spécial le dossier du conservateur. Le dossier est vraîment mince, mais si les choses se confirment, c’est une bombe qu’ils ont entre les mains. Le procureur aussitôt se demande comment c'est possible et penche immédiatement pour la thèse d’un canular.
Il comprend les raisons, qui ont poussé ce scientifique à agir sans précaution et sans autorisation. Qui, n’aurait pas fait la même chose à sa place. Lui-même a envie de savoir, de comprendre. Quelle découverte extraordinaire, si c’était vrai ! Nous y verrons plus clair demain se dit-il, la nuit porte conseil, mais ce dossier doit rester secret. Le Procureur de Saintes l’a classé, il va pouvoir seul en conserver le suivi.
Le lendemain, les choses tournent à la folie avec l’apparition des photos du papillon.
Au courrier, Germaine découvre dans l’Angérien du mercredi les photos de son mari et du papillon en première page. Une dizaine, toutes plus belles les unes que les autres sont exposées accompagnées de quelques lignes. Les textes du journaliste posent d'ailleurs, plus de questions, qu’il ne donne de réponses. Ils vont devoir y faire face.
Elle porte le journal à André, il vient de terminer avec ses journaliers le nettoyage de la trayeuse électrique. Le lait a été filtré et repose au frais dans une chambre froide en attendant le passage du camion de ramassage. Il se trouve beau en photo et pense au retentissement local de cette médiatisation. Il bombe le torse et décide d’aller s’offrir un café.
La Grand-mère feuillette les quelques pages du journal avec fierté et pense à la tête de ses copines qui doivent en crever de jalousie. Elle a tellement de choses à leur raconter qu’elle devrait les écrire sur un cahier. Elle va sûrement en oublier la moitié. C’est tous les jours que des nouveautés apparaissent et dans tous les sens.
Germaine est allée chez le marchand de journaux et en achète vingt. Tout le village se précipite au point presse, et achète par deux, trois, quatre le fameux hebdomadaire. La pile baisse minute par minute et madame Jallet doit téléphoner à son grossiste pour avoir du réapprovisionnement. À ce rythme des ventes, elle ne tiendra pas la journée, d’habitude, il lui faut quatre jours pour les écouler.
André réfléchit entre deux coups de téléphone car tous l l'appellent. Pierrot avait encore raison. Il avait prévu cet engouement, mais c’est lui par goguenardise, a déclenché cette nouvelle hystérie collective.  Vers onze heures, tous les quotidiens et journaux du département veulent des photos ou un interview.
André décide la jouer comme Pierrot, et de faire profile bas. Il va choisir les journaux qui parleront de lui, il élimine immédiatement les curieux, les intrus et surtout les inutiles. Pour les calmer, il annonce que le papillon a été rendu à son propriétaire.
Les photos par contre, sont disponibles chez le photographe de l’Angérien. Il n’en possède aucune. Ceux qui en auraiennt besoin, n’auront qu’à se les procurer directement. Les gens du village viennent frapper jusqu’à sa porte, espérant apercevoir Umagu. C’est le nom donné par Tapioca au papillon en souvenirs de leurs amis.
Il n’accepte de rendez-vous que des journalistes locaux. Avec les autres se dit-il c’est du temps de perdu. Même le Conseiller Général, le Maire et le député l’appellent pour le féliciter, il reçoit plus de cinquante coups de téléphone dans sa journée qui se déroule d’un trait, sans qu’il n’ait pu faire autre chose que de raconter ce qu’il savait. Tout ceci est loin de lui déplaire et il prend immédiatement goût à cette nouvelle notoriété.
L’école reçoit l’Angérien, et le maître à la récréation de dix heures découvre les photos. Il affiche le journal dans la classe et décide que les compositions finies, ils feront des recherches sur les origines de ce papillon.
L’après-midi, les enfants terminent leurs compositions. Tapioca et pierrot s’en sortent mieux que personne. Ils sont satisfaits l’un et l’autre au rendu de leur travail, ils ont tout su. Pour les récitations, ils font un sans faute et sont chaleureusement félicités par le maître. Il tient ici les deux meilleurs élèves de ce premier trimestre, mais il ne sait pas encore dans quel ordre il devra les classer. Deux premier ex æquo serait la meilleure des choses pour les encourager à se battre encore plus au second trimestre. L’un et l’autre ont changé de comportement en quelques semaines, c’est ahurissant de voir leur évolution soudaine…
André est chez lui, assis à côté de son téléphone et sirote son énième café, ce qui énerve Germaine.
Germaine :
« - Tu es malade de boire tout ces cafés, tu ne vas pas dormir et demain tu seras encore de mauvaise humeur. »
André :
« - Germaine, j’ai bien réfléchi, les gosses ont raison, donne moi du papier à lettres et une enveloppe je vais demander un entretien au Château. »
Germaine s’exécute, mais ne peut s’empêcher de se signer. Depuis le temps qu’elle souhaite le voir ainsi, elle a été entendue par le ciel. Elle va aller à l’église demain brûler un cierge et remercier le seigneur. Elle pose le papier sur la table, les enveloppe l’encrier, le porte plume et le papier buvard. Tout est rapidement devant lui.
André :
Germaine pourras-tu me corriger les fautes s’il te plaît ?
Germaine, :
« - Comme d’habitude, est-ce qu’une lettre sort de cette maison sans que je la relise?

André trempe sa plume sergent-major dans l’encrier.
Il commence…

Cher Docteur Melchior,
J’ai l’honneur de solliciter de votre bienveillance un entretien le plus rapidement possible. Je sais que ce courrier ne va pas manquer de vous surprendre, mais il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Coincé dans une idéologie démoniaque, dépassée, honteuse, j’ai refusé par orgueil d’ouvrir les yeux. Afin de justifier mes actions, mes paroles, mes gestes, je vous ai en permanence depuis 20 ans déclaré une guerre injuste, une haine sans raison, colportant souvent des rumeurs sur vous et vos gens pouvant atteindre une ignominie impardonnable. Aujourd’hui, j’ai honte et je veux réparer le mal que j’ai vilipendé. Je dois le faire de vive voix et donc avoir un rendez-vous à votre convenance et selon vos disponibilités.
J’ose espérer que ma requête sera prise en considération et recevra un accueil favorable de votre part. Par avance je vous en remercie et vous prie de croire désormais en mon profond respect.
Pardon encore…
André Hillairet.

André lsèche la feuille avec le buvard en le tamponnant comme nous faisions à l’école avant l’arrivée du stylo-bille. Puis, il la pose sur la table pour que Germaine la relise. Elle la relit d’un trait et rajoute quelques ponctuations oubliées. Pendant ce temps, André a écrit l’adresse sur l’enveloppe. Il sèche une dernière fois son écriture, plie la lettre en trois et la glisse dans son étui de papier dont il mouille la partie autocollante avec sa langue et la referme. Il la pose sur la table et regarde Germaine.
Germaine s’en empare en lui disant :
« - C’est bien André, tu n’as pas fait une seule faute, il manquait juste deux ou trois ponctuations. Tu feras certainement un bon Maire. Je voterai peut-être pour toi. La grand-mère toujours présente dans leurs jambes :
« - Moi certainement pas, tant qu’il restera communiste. Je ne voudrais pas que mon pauvre mari est une autre attaque. »
André :
« - Là où il est grand-mère, il ne risque plus rien, paix à son âme. »
La Grand-mère :
« - Ce n’est pas une raison pour rester communiste. »


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